Coordinateurs : Gilles Dorronsoro, Politiste (CESSP-Université Paris 1) et Adam Baczko, Politiste (CERI-Sciences Po)
Partenaires : Centre de Recherche Internationales (CERI/ Sciences Po) et Laboratoire MACOTER
Présentation du projet
Le LMI MaCoTer participe à un projet porté par le Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris, intitulé “Savoirs et pratiques de l’Etat malien”. Porté par Adam Baczko (CERI-Sciences Po) et Gilles Dorronsoro (CESSP-Université Paris 1), membres du LMI MaCoTer, le projet sera appuyé par le LMI sur la composante formation, à travers l’encadrement de deux bourses de doctorat.
Le Mali apparaît comme un cas idéal-typique d’un retrait progressif de l’Etat au profit d’acteurs internationaux, d’insurrections sécessionniste et islamiste, de configurations locales de pouvoir. L’effondrement du secteur scolaire, avec les difficultés croissantes des étudiants à maîtriser le français, illustre les effets d’un retrait déjà ancien de l’État dans le secteur essentiel de l’éducation. Fort d’environ 125 000 fonctionnaires (militaires compris), dont une majorité à Bamako, l’Etat malien fournit des services publics limités à une partie réduite de ses 20 millions d’habitants. Pour cette raison, la plupart des études récentes se sont focalisées sur les arrangements aux marges qui permettent des formes de gouvernement en dehors des institutions étatiques – justice « informelle », chefs « traditionnels », autorités religieuses.
A l’inverse, l’État malien est un objet peu couvert par les recherches récentes qui, depuis plusieurs décennies, semblent avoir acté son absence grandissante dans la vie quotidienne. Le coup d’Etat mené par des officiers maliens en 2020 conforte cette perspective en mettant sans ambiguïté la question de la gouvernance au centre de la dynamique politique. La prise du pouvoir par les militaires ne doit notamment pas dissimuler que ce sont les manifestations dans l’espace public contre les dysfonctionnements étatiques qui sont à l’origine de la chute du régime.
L’État malien présente des traits qui semblent parfois contradictoires, mais qui dessinent au final un portrait cohérent : forte centralisation et politisation des ministères essentiels mais faible contrôle de l’administration et absence de sanction en cas de faute lourde des fonctionnaires, faiblesse de l’archivage mais production de statistiques assez fiables, processus décisionnels souvent opaques et personnalisés et faible institutionnalisation des institutions (justice, parlement), abandon de fait de l’administration territoriale, etc. De plus, loin d’être un ensemble stable, les institutions étatiques ont connu ces dernières décennies des évolutions structurelles importantes, qui condamnent l’hypothèse d’une trajectoire immuable de la formation de l’État.
Deux dynamiques sont importantes pour notre étude. D’une part, le nombre de donateurs étrangers s’est spectaculairement accru, avec à certains moments des politiques contradictoires (Bureau du Vérificateur général versus Cour des comptes par exemple) mais un effort de coordination croissant ces dernières années. D’autre part, les tentatives de réforme de l’État se heurtent aux intérêts de la classe politique et des élites économiques. En particulier, la question de l’impôt, décisive d’un point de vue politique autant qu’économique, montre un faible enracinement des élites économiques au sein de la société malienne. Celles-ci ne forment donc pas une bourgeoisie au sens d’une classe dominante orientée vers la reproduction de l’ordre social.
Ce projet part de l’hypothèse que l’État malien est l’élément décisif pour penser la crise actuelle, alors même que l’urgence sécuritaire amène à privilégier des politiques à court terme qui actent ou aggravent la défaillance des institutions étatiques. Les dynamiques observables sont particulièrement complexes : alors que des pans entiers de l’État se désagrègent (ministère de l’Education, police nationale, etc.), certaines institutions étatiques, généralement liées à des bailleurs ou des coopérations extérieures, se sont imposées comme des pôles de rationalisation bureaucratique.
Notre hypothèse est que cette rationalisation sectorielle et non coordonnée est un élément de déstructuration du réseau d’institutions qui constituent l’État. Notre perspective, qui se veut complémentaire de programmes engagés ailleurs, est donc de prendre au sérieux les structures les plus centrales de l’administration malienne : ministères, haute fonction publique, organismes d’audit et d’inspection, archives et savoirs statistiques. Ces structures, relativement peu étudiées, et rarement comme parties d’une configuration institutionnelle, nous paraissent centrales.